L’annulation d’un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n’implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d’une régularisation par l’administration, l’extinction de la créance litigieuse, à la différence d’une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre.
Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l’annulation d’un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l’administration, il incombe au juge administratif d’examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.
Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, le juge n’est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu’il retient pour annuler le titre : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse.
Si le jugement est susceptible d’appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n’a pas fait droit à sa demande de décharge. Il appartient alors au juge d’appel, statuant dans le cadre de l’effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à cette demande.
Je peux vous assister pour votre recours en annulation devant le Tribunal.
Pour cela il suffit de remplir le formulaire.
J’accepte l’aide juridictionnelle ou la protection juridique
Conseil d’Etat, 5 avril 2019, CELF n°41371
N° 413712
ECLI:FR:CEORD:2019:413712.20190405
Publié au recueil Lebon
Mme Anne Iljic, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
lecture du vendredi 5 avril 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
La société Mandataires Judiciaires Associés, agissant en qualité de mandataire liquidateur judiciaire du Centre d’exportation du livre français, a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler le titre de perception d’un montant de 10 375 749, 03 euros émis à son encontre le 23 octobre 2013 relatif aux intérêts courus de 1982 au 25 février 1989 sur les aides publiques versées au Centre d’exportation du livre français (CELF) pour le » programme petites commandes » et de prononcer la décharge de cette somme. Par un jugement n° 1413677 du 24 mars 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé ce titre de perception et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un arrêt n° 16PA01735 du 28 juin 2017, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par la société Mandataires Judiciaires Associés contre ce jugement en tant qu’il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 août et 27 novembre 2017 et le 14 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Mandataires Judiciaires Associés demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le règlement (CE) n° 1999/659 du Conseil du 22 mars 1999 ;
– le code de commerce ;
– le décret n° 2012-246 du 7 novembre 2012 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Raphaël Chambon, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Mandataires Judiciaires Associés et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du ministre de la culture ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 mars 2019, présentée par la société Etude JP ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Centre d’exportation du livre français (CELF) a perçu de la part de l’Etat, entre 1980 et 2001, un montant total d’aides de 4, 8 millions d’euros afin d’assurer la gestion du programme » petites commandes « , destiné à assurer la diffusion d’ouvrages en langue française dans les territoires d’outre-mer et à l’étranger. La Commission européenne a, par une décision du 14 décembre 2010 devenue définitive, estimé que ces financements constituaient une aide d’Etat contraire à l’article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, incompatible avec le marché intérieur. Elle a aussi décidé que les sommes à récupérer produiraient des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à disposition de leur bénéficiaire jusqu’au 25 février 2009. La société CELF a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 9 septembre 2009 désignant la société Mandataires Judiciaires Associés (MJA) en qualité de liquidateur judiciaire. En application de la décision de la Commission européenne du 14 décembre 2010, la ministre de la culture et de la communication a émis, d’une part, un titre de perception portant sur la récupération des sommes versées au titre de cette aide et, d’autre part, un titre de perception d’un montant de 10 375 749, 03 euros au titre des intérêts afférents. Ce second titre a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Paris nos 1003917, 1206396 du 29 avril 2013. Par une décision n° 274923 du 30 décembre 2011, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a enjoint à l’Etat de procéder » à la récupération des intérêts afférents aux aides versées au Centre d’exportation du livre français durant les années 1982 à 2001, depuis la date à laquelle ces aides ont été mises à disposition jusqu’au 25 février 2009, les intérêts devant être calculés conformément au règlement (CE) n° 794/2004 « . En conséquence, un nouveau titre de perception a été émis le 23 octobre 2013, mettant à la charge de la société MJA une somme de 10 375 749, 03 euros. La société MJA, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société CELF, a relevé appel du jugement du 24 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Paris, après avoir annulé le titre de perception du 23 octobre 2013, a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de cette somme. La société MJA, à laquelle s’est substituée en cours d’instance la société Etude JP en qualité de mandataire liquidateur de la société CELF, se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 28 juin 2017 qui a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif en tant qu’il avait rejeté le surplus de ses conclusions.
2. L’annulation d’un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n’implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d’une régularisation par l’administration, l’extinction de la créance litigieuse, à la différence d’une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre.
3. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l’annulation d’un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l’administration, il incombe au juge administratif d’examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.
4. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, le juge n’est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu’il retient pour annuler le titre : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse.
5. Si le jugement est susceptible d’appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n’a pas fait droit à sa demande de décharge. Il appartient alors au juge d’appel, statuant dans le cadre de l’effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à cette demande.
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société requérante avait saisi le tribunal administratif de conclusions tendant non seulement à l’annulation du titre de perception émis à son encontre mais aussi à la décharge de la somme qui lui était réclamée. Dans ces conditions, il incombait au tribunal administratif de statuer en examinant prioritairement les moyens contestant le bien-fondé de la créance litigieuse. Il ressort des énonciations du jugement du tribunal administratif de Paris qu’après avoir fait droit aux conclusions à fin d’annulation du titre de perception attaqué par la société MJA, le tribunal a rejeté ses conclusions à fin de décharge de la somme en litige en jugeant que le motif d’annulation du titre de perception, tiré de son insuffisante motivation, n’impliquait pas nécessairement de prononcer cette décharge. Dès lors que, ce faisant, le tribunal devait être réputé avoir nécessairement examiné et écarté l’ensemble des moyens, soulevés devant lui, relatifs au bien-fondé du titre exécutoire que la requérante invoquait à l’appui de sa demande principale de décharge de cette somme, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les premiers juges avaient suffisamment motivé le rejet des conclusions à fin de décharge présentées par la société requérante.
7. En second lieu, si la clôture pour insuffisance d’actif d’une procédure de liquidation judiciaire de l’entreprise bénéficiaire d’une aide d’Etat illégale est susceptible, en fonction de la situation particulière de l’entreprise, de permettre à un Etat membre de démontrer qu’il est dans l’impossibilité absolue de récupérer cette aide, ainsi que l’a dit pour droit la Cour de justice de l’Union européenne notamment dans son arrêt C-610/10 Commission c/ Espagne du 11 décembre 2012, tel n’est pas le cas de la seule ouverture d’une telle procédure et de l’inscription de la créance de l’Etat au tableau des créances de la liquidation judiciaire. Il suit de là qu’en jugeant que la circonstance que la société CELF, bénéficiaire de l’aide illégale, avait été placée en liquidation judiciaire, qu’elle présentait un passif et ne disposait plus d’aucun actif à réaliser était sans incidence sur l’obligation pour l’Etat de poursuivre le recouvrement des aides illégalement versées et des intérêts afférents et qu’elle était, dès lors, sans incidence sur le bien-fondé de la créance litigieuse, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Etude JP, qui a été substituée à la société Mandataires Judiciaires Associés, n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Etude JP la somme demandée par l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société Etude JP au même titre.
D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de la société Etude JP est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Etude JP et au ministre de la culture.