Arrêt de la Cour de cassation en matière de Prestation compensatoire. Un époux reconnait devoir la Prestation compensatoire, qu’il n’a versé que partiellement mais plaide l’impossibilité absolue de régler son ex-épouse. La Cour de cassation reconnait cette impossibilité et décide que :
« En se déterminant ainsi sans répondre au chef péremptoire des conclusions du prévenu qui faisait valoir que Mme S… qui s’était vue attribuer, par une ordonnance de non conciliation du 5 juin 2008, la jouissance du seul bien immobilier dont il est propriétaire pendant un an, occupait toujours les lieux, sans droit ni titre, ce qui le mettait dans l’impossibilité de le vendre au prix du marché pour payer la prestation compensatoire, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »
L’histoire : Un époux est condamné à verser à son épouse une Prestation compensatoire de 700 000 € en capital. Il ne procède qu’à des paiements partiels et son ex-épouse met en oeuvre des mesures d’exécution forcée pour obtenir finalement un nouveau paiement partiel. En désespoir de cause, la Prestation compensatoire n’étant pas soldée, l’épouse dépose plainte pour abandon de famille.
Par un arrêt du 7 mars 2018, la cour d’appel de Versailles déclare le mari coupable du délit d’abandon de famille et le condamne à une amende de 3 000 € et, sur l’action civile, à une somme de 2 000 € de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
Le mari n’avait pas contesté l’élément matériel (comment le pouvait-il ? il n’avait pas réglé la totalité de la somme…), mais l’élément intentionnel, plaidant qu’il se trouvait dans l’impossibilité absolue de régler son ex-épouse. À cette fin, il produisait d’ailleurs des reconnaissances de dettes, mises en demeure, etc. La cour d’appel ne s’est pas laissée attendrir, considérant que ce dernier ne rapportait pas la preuve de son absolue impossibilité de régler les sommes dues du fait de la possibilité de vendre son actif immobilier d’une valeur de 1 473 968 €. Pour la cour d’appel, les éléments matériel et intentionnel constitutifs de l’infraction se trouvaient réunis. Censure de la Cour de cassation qui sera beaucoup plus indulgente. Et l’époux de se trouver relaxé !
La décision : https://www.legifrance.gouv.fr/
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 10 avril 2019
N° de pourvoi: 18-82409
Non publié au bulletin Cassation
M. Soulard (président), président
SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
–
M. K… D…,
contre l’arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES,18e chambre, en date du 7 mars 2018, qui, pour abandon de famille, l’a condamné à une amende de 3 000 euros et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 20 février 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Slove, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Slove, les observations de la société civile professionnelle CLAIRE LEDUC et SOLANGE VIGAND, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général SALOMON ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 227-3 du code pénal et 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. B… D… coupable du délit d’abandon de famille et l’a condamné à une amende délictuelle de 3 000 euros et sur l’action civile, l’a condamné à payer à Mme Q… S… la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
« aux motifs que, sur l’action publique, sur la culpabilité, l’article 227-3 du code pénal définit le délit d’abandon de famille comme « Le fait, pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire, une convention judiciairement homologuée ou une convention prévue à l’article 229-1 du code civil lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant, d’un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales prévues par le code civil, en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende » ; qu’en l’espèce, il est constant que la cour d’appel de Versailles dans son arrêt du 11 septembre 2014 a condamné M. D… à verser à Mme S… une prestation compensatoire d’un montant de 700 000 euros à verser en capital ; que cet arrêt a été signifié à M. D… le 2 mars 2015 et qu’il en a eu connaissance personnelle ; qu’il n’a procédé à des paiements volontaires ni en avril 2015, ni en mai 2015 ni même en juin 2015 ; que c’est par la mise en oeuvre en juillet 2015 de plusieurs saisies de valeurs mobilières et de saisies-attributions de sommes détenues sur les comptes bancaires de M. D… que Mme S…, agissant en exécution forcée du titre contenu dans l’arrêt du 11 septembre 2014 a finalement obtenu paiement partiel de la prestation due à hauteur de 147 149,36 euros ; que M. D… a confirmé devant la cour qu’il n’avait procédé à aucun paiement volontaire des sommes dues ; que M. D… ne conteste pas l’élément matériel de l’infraction découlant de l’absence de paiement ; que cependant il objecte l’absence de tout élément intentionnel puisqu’il se serait trouvé, en raison de ses difficultés de trésorerie, dans l’impossibilité absolue de régler son ex-épouse, fût-ce pour partie ; qu’au soutien de ce moyen, il produit une reconnaissance de dette libellée au profit de M. F… pour un chèque impayé de 30 000 euros, deux mises en demeure émises par la BNP et la banque HSBC aux fins de règlement de ses découverts bancaires pour des montants de 10 477 et 10 179 euros, une mise en demeure de l’association syndicale libre Villa Victorien Sardou de régler la somme 22 380 euros, trois pièces désignées comme autant de notifications d’interdiction bancaire mais qui, à les lire, en réalité se bornent à attirer l’attention de M. D… sur les conséquences des saisies opérées, et enfin un projet de lettre de M. D… daté de mai 2015 destiné à l’éventuelle ouverture d’une possible procédure de surendettement ; qu’il se déduit de ces pièces que le prévenu ne rapporte pas la preuve de l’impossibilité absolue de régler les sommes dues ; que l’expertise réalisée à la demande de M. D… en mars 2017 établit au contraire que l’intéressé conserve un capital immobilier de 1 473 968 euros, soit plus du double de la somme due au titre de la prestation compensatoire ; qu’il a enfin exposé à la cour que s’il percevait des revenus mensuels de l’ordre de 11 500 euros, cette somme était absorbée par d’autres dépenses ; qu’en outre M. D… ne justifie nullement d’une quelconque impossibilité de réaliser partie de son patrimoine immobilier afin de régler les sommes dues : qu’il a ainsi exposé que la succession de ses parents ouverte 2006 se trouvait en attente d’une liquidation amiable de l’indivision de sorte qu’il n’avait pu obtenir les sommes correspondant à sa part évaluée pourtant à près de 281 022 euros ; qu’il se déduit du choix d’une simple liquidation amiable de la succession, mais aussi du refus de réaliser ses autres actifs immobiliers, ou bien encore de la priorité assumée quant au paiement d’autres dépenses personnelles, que M. D… se refuse délibérément à tout paiement de sorte que l’élément intentionnel du délit est bien présent ; qu’en conséquence les éléments matériels et intentionnels du délit d’abandon de famille sont parfaitement réunis en l’espèce ; qu’il y a donc lieu pour la cour d’infirmer le jugement entrepris sur l’action publique et, statuant à nouveau, de déclarer M. D… coupable des faits articulés dans la citation directe ; que sur la peine , M. D… n’a jamais été condamné ; que compte tenu de l’activité professionnelle qu’il a conservé, il convient de ne pas prononcer de peine d’emprisonnement à son encontre ; qu’en conséquence, il y a lieu pour la cour de s’en tenir à une peine d’amende ; que, compte tenu des revenus mensuels que le prévenu a déclaré – de l’ordre de 11 500 euros – il convient, pour tenir compte non seulement de la gravité des faits mais aussi des revenus, des charges et de la personnalité de leur auteur, de condamner M. D… à une amende délictuelle de 3 000 euros ; que sur l’action civile ; que le tribunal a rejeté les demandes civiles de Mme S… au motifs de la relaxe du prévenu ; que compte tenu de la déclaration de culpabilité prononcée contre M. D…, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris de ce chef ; que s’agissant de l’estimation du préjudice moral de la partie civile, la cour a entendu ses explications décrivant les longues procédures qu’elle a dû mener seule et la tension nerveuse qui a été la sienne ; qu’au vu de ces explications et de la plaidoirie de son avocat, la cour retient que son préjudice moral doit être évalué à 2 000 euros ; qu’il convient en conséquence de condamner M. D… à verser à Mme S… la somme de 2 000 euros de dommages-intérêts en réparation de ce préjudice ; qu’il est par ailleurs équitable de condamner M. D… à verser à Mme S… la somme de 1 000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale pour ses diligences devant les premiers juges et de condamner M. D… à verser une nouvelle somme de 1 000 euros à Mme S… au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale cette fois pour ses diligences en cause d’appel ;
« 1°) alors que la charge de la preuve de l’élément intentionnel du délit incombe à la partie poursuivante ; que s’agissant du délit d’abandon de famille, cet élément intentionnel réside dans la volonté de se soustraire au paiement ; qu’en énonçant, pour déclarer le prévenu coupable du délit d’abandon de famille, que celui-ci ne rapportait pas la preuve de l’impossibilité absolue de régler les sommes dues quand il revenait à la partie poursuivante de prouver la solvabilité du prévenu, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et ainsi méconnu le principe susvisé ;
« 2°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter en lui-même les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l’insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; qu’en énonçant, pour retenir que M. D… ne rapportait pas la preuve de l’impossibilité absolue de régler les sommes dues au prétexte qu’il avait la possibilité de vendre son actif immobilier d’une valeur de 1 473 968 euros, sans répondre aux conclusions par lesquelles le demandeur faisait valoir que le bien était occupé par Mme S… sans droit ni titre et donc qu’il était dans l’impossibilité de le vendre, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de motifs ;
» 3°) alors que le délit d’abandon de famille incriminé par l’article 227-3 du code pénal nécessite la caractérisation d’un élément intentionnel consistant en la volonté délibérée de se soustraire au paiement ; que la cour d’appel ne pouvait déduire du choix d’une simple liquidation amiable de la succession des parents de M. D… que ce dernier s’était refusé délibérément à tout paiement, dès lors qu’elle constatait elle-même que la succession des parents de M. D… avait été ouverte en 2006, date à laquelle aucune procédure de divorce n’était en cours entre M. D… et Mme S… ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
« 4°) alors que le délit d’abandon de famille incriminé par l’article 227-3 du code pénal nécessite la caractérisation d’un élément intentionnel consistant en la volonté délibérée de se soustraire au paiement ; qu’en se bornant à énoncer, pour caractériser l’élément intentionnel, qu’il se déduit de la priorité assumée quant au paiement d’autres dépenses personnelles que M. D… s’est refusé délibérément à tout paiement, sans s’expliquer sur les charges incompressibles supportées par M. D… dont il avait fait état aux termes de ses conclusions, rendant impossible le versement d’une prestation compensatoire, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés » ;
Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que par un arrêt du 11 septembre 2014, la cour d’appel de Versailles a condamné M. D… à payer à Mme S… une prestation compensatoire de 700 000 euros, à verser en capital ; que Mme S… a fait citer M. D… devant le tribunal correctionnel du chef d’abandon de famille ; que les juges du premier degré l’ont renvoyé des fins de la poursuite ; que le ministère public et Mme S… ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour déclarer M. D… coupable du délit d’abandon de famille l’arrêt retient que le prévenu ne rapporte pas la preuve de l’impossibilité absolue de régler les sommes dues ; que l’expertise réalisée à sa demande en mars 2017 établit au contraire que l’intéressé conserve un capital immobilier de 1 473 968 euros, soit plus du double de la somme due au titre de la prestation compensatoire ; qu’il a enfin exposé à la cour que s’il percevait des revenus mensuels de l’ordre de 11 500 euros, cette somme était absorbée par d’autres dépenses ; qu’en outre M. D… ne justifie nullement d’une quelconque impossibilité de réaliser une partie de son patrimoine immobilier afin de régler les sommes dues ; qu’il a ainsi exposé que la succession de ses parents ouverte en 2006 se trouvait en attente d’une liquidation amiable de l’indivision de sorte qu’il n’avait pu obtenir les sommes correspondant à sa part évaluée pourtant à près de 281 022 euros ; qu’il se déduit du choix d’une simple liquidation amiable de la succession, mais aussi du refus de réaliser ses autres actifs immobiliers, ou bien encore de la priorité assumée quant au paiement d’autres dépenses personnelles, que M. D… se refuse délibérément à tout paiement ;
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi sans répondre au chef péremptoire des conclusions du prévenu qui faisait valoir que Mme S… qui s’était vue attribuer par une ordonnance de non conciliation du 5 juin 2008, la jouissance du seul bien immobilier dont il est propriétaire pendant un an, occupait toujours les lieux, sans droit ni titre, ce qui le mettait dans l’impossibilité de le vendre au prix du marché pour payer la prestation compensatoire, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Versailles, en date du 7 mars 2018, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix avril deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
ECLI:FR:CCASS:2019:CR00487
Analyse
Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 7 mars 2018