Lorsque la loi attache un caractère suspensif à l’exercice d’un recours administratif ou contentieux, l’exécution de la décision qui fait l’objet de ce recours ne peut plus être poursuivie jusqu’à ce qu’il ait été statué sur ce recours ; si, malgré cela, l’administration poursuit l’exécution de la décision en dépit d’un recours, c’est alors sans faire obstacle à l’exécution de cette décision, en principe déjà paralysée, en vertu de la loi, par l’effet même du recours, que le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, prescrire à l’administration, à titre provisoire dans l’attente d’une décision se prononçant sur le bien-fondé du recours, toutes mesures justifiées par l’urgence propres à faire cesser la méconnaissance du caractère suspensif du recours ;
Tel est le cas, en particulier, lorsque la collectivité débitrice du revenu de solidarité active ou l’organisme chargé du service de celui-ci ou de la prime d’activité poursuit le recouvrement d’un indu de l’une ou l’autre de ces prestations, par retenues sur les montants à échoir de ces prestations ou d’autres prestations sociales, en méconnaissance du caractère suspensif attaché aux recours administratifs et contentieux par les articles L. 262-46 du Code de l’action sociale et des familles et L. 845-3 du Code de la Sécurité sociale ; le juge des référés peut alors, sur le fondement de l’article L. 521-3, non seulement ordonner qu’il soit mis fin aux retenues à venir dans l’attente qu’il soit statué sur le recours, mais aussi enjoindre le reversement des sommes qui ont été à tort retenues en méconnaissance du caractère suspensif du recours.
La décision du Conseil d’État
N° 426527
ECLI:FR:CECHR:2019:426527.20190724
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère et 4ème chambres réunies
M. Pierre Boussaroque, rapporteur
M. Charles Touboul, rapporteur public
SCP GATINEAU, FATTACCINI ; SCP DELAMARRE, JEHANNIN, avocats
lecture du mercredi 24 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Mme C…B…a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’enjoindre à la caisse d’allocations familiales et au département de la Vienne, d’une part, de suspendre la récupération de l’indu correspondant à un trop-perçu de prime d’activité, de revenu de solidarité active et d’aide exceptionnelle de fin d’année et, d’autre part, de lui rembourser sous astreinte les sommes déjà récupérées depuis le 20 avril 2018 en recouvrement de l’indu qui lui est réclamé.
Par une ordonnance n° 1802772 du 7 décembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a dit n’y avoir pas lieu à statuer sur la demande de suspension des retenues et a enjoint à la caisse d’allocations familiales de la Vienne, d’une part, et au département de la Vienne, d’autre part, de restituer à Mme B…respectivement les sommes de 692,00 et 787,52 euros au titre des montants irrégulièrement retenus sur ses prestations sociales.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 24 décembre 2018 et les 7 janvier et 8 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la caisse d’allocations familiales de la Vienne et le département de la Vienne demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de Mme B…;
3°) de mettre à la charge de Mme B…la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’action sociale et des familles ;
– le code de la sécurité sociale ;
– le décret n° 2016-1945 du 28 décembre 2016 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la caisse d’allocations familiales de la Vienne et du département de la Vienne et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme B…;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu’à la suite d’un contrôle de sa situation, la caisse d’allocations familiale de la Vienne a décidé, le 5 avril 2018, de récupérer à l’encontre de Mme B…un indu de prestations d’un montant de 24 229,27 euros, au titre de l’aide personnalisée au logement, de la prime d’activité, du revenu de solidarité active et de l’aide exceptionnelle de fin d’année qu’elle avait perçus au cours de la période allant du 1er mars 2015 au 31 janvier 2018, et l’a informée de ce que la somme de 393,76 euros serait désormais retenue chaque mois sur les prestations sociales dont elle bénéficiait afin d’assurer le remboursement de cet indu. Mme B…a contesté cette décision par un recours administratif que la caisse d’allocations familiales a rejeté, en tant qu’il portait sur la prime d’activité, par une décision du 18 juillet 2018, et que le département de la Vienne a rejeté, en tant qu’il concernait le revenu de solidarité active, par une décision du 21 août 2018. Après avoir saisi le tribunal administratif de Poitiers, le 17 septembre 2018, d’une requête tendant à l’annulation des décisions rejetant ses recours administratifs, Mme B… a saisi le juge des référés de ce tribunal le 22 novembre 2018, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’une demande tendant à la suspension des retenues effectuées sur ses prestations sociales et au remboursement des sommes ayant déjà fait l’objet d’une retenue. Par une ordonnance du 7 décembre 2018, le juge des référés a dit n’y avoir pas lieu à statuer sur la demande de suspension des retenues et a enjoint à la caisse d’allocations familiales de la Vienne, d’une part, et au département de la Vienne, d’autre part, de restituer à Mme B…respectivement les sommes de 692,00 et 787,52 euros au titre des montants irrégulièrement retenus sur ses prestations sociales, dans l’attente de l’examen de sa requête au fond. Par leur pourvoi, la caisse d’allocations familiales et le département de la Vienne doivent être regardés comme demandant l’annulation des articles 3, 4 et 5 de cette ordonnance relatifs à la restitution de sommes retenues et aux frais exposés et non compris dans les dépens.
2. Aux termes de l’article L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles : » Tout paiement indu de revenu de solidarité active est récupéré par l’organisme chargé du service de celui-ci ainsi que, dans les conditions définies au présent article, par les collectivités débitrices du revenu de solidarité active. / Toute réclamation dirigée contre une décision de récupération de l’indu, le dépôt d’une demande de remise ou de réduction de créance ainsi que les recours administratifs et contentieux, y compris en appel, contre les décisions prises sur ces réclamations et demandes ont un caractère suspensif. / Sauf si le bénéficiaire opte pour le remboursement de l’indu en une seule fois, l’organisme mentionné au premier alinéa procède au recouvrement de tout paiement indu de revenu de solidarité active par retenues sur les montants à échoir. / A défaut, l’organisme mentionné au premier alinéa peut également, dans des conditions fixées par décret, procéder à la récupération de l’indu par retenues sur les échéances à venir dues au titre des prestations familiales, de l’allocation de logement et de la prime d’activité mentionnées, respectivement, aux articles L. 511-1, L. 831-1 et L. 841-1 du code de la sécurité sociale, au titre des prestations mentionnées au titre II du livre VIII du même code ainsi qu’au titre de l’aide personnalisée au logement mentionnée à l’article L. 351-1 du code de la construction et de l’habitation (…) « . L’article L. 845-3 du code de la sécurité sociale prévoit, de la même façon, la récupération de tout paiement indu de prime d’activité, notamment par retenues sur les montants à échoir de cette prestation ou d’autres prestations sociales, en précisant que toute réclamation dirigée contre une décision de récupération de l’indu, le dépôt d’une demande de remise ou de réduction de créance ainsi que les recours administratifs et contentieux contre les décisions prises sur ces réclamations et ces demandes ont un caractère suspensif.
3. Aux termes de l’article L. 521-3 du code de justice administrative : » En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative « . Saisi sur le fondement de ces dispositions d’une demande qui n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l’urgence justifie, notamment sous forme d’injonctions adressées à l’administration, à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse. En raison du caractère subsidiaire du référé régi par l’article L. 521-3, le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L 521-2. Si le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-3, ne saurait faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, même celle refusant la mesure demandée, à moins qu’il ne s’agisse de prévenir un péril grave, la circonstance qu’une décision administrative refusant la mesure demandée au juge des référés intervienne postérieurement à sa saisine ne saurait faire obstacle à ce qu’il fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-3.
4. Lorsque la loi attache un caractère suspensif à l’exercice d’un recours administratif ou contentieux, l’exécution de la décision qui fait l’objet de ce recours ne peut plus être poursuivie jusqu’à ce qu’il ait été statué sur ce recours. Si, malgré cela, l’administration poursuit l’exécution de la décision en dépit d’un recours, c’est alors sans faire obstacle à l’exécution de cette décision, en principe déjà paralysée, en vertu de la loi, par l’effet même du recours, que le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, prescrire à l’administration, à titre provisoire dans l’attente d’une décision se prononçant sur le bien-fondé du recours, toutes mesures justifiées par l’urgence propres à faire cesser la méconnaissance du caractère suspensif du recours.
5. Tel est le cas, en particulier, lorsque la collectivité débitrice du revenu de solidarité active ou l’organisme chargé du service de celui-ci ou de la prime d’activité poursuit le recouvrement d’un indu de l’une ou l’autre de ces prestations, par retenues sur les montants à échoir de ces prestations ou d’autres prestations sociales, en méconnaissance du caractère suspensif attaché aux recours administratifs et contentieux par les articles L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles et L. 845-3 du code de la sécurité sociale mentionnés au point 2. Le juge des référés peut alors, sur le fondement de l’article L. 521-3, non seulement ordonner qu’il soit mis fin aux retenues à venir dans l’attente qu’il soit statué sur le recours, mais aussi enjoindre le reversement des sommes qui ont été à tort retenues en méconnaissance du caractère suspensif du recours.
6. Il résulte de ce qui précède, en premier lieu, que l’injonction faite à la caisse d’allocations familiales de la Vienne et au département de la Vienne de restituer à Mme B… les sommes irrégulièrement retenues sur ses prestations, en méconnaissance du caractère suspensif attaché par les articles L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles et L. 845-3 du code de la sécurité sociale aux recours qu’elle avait formés, laquelle présente un caractère provisoire et ne pouvait être obtenue par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L 521-2 du code de justice administrative, n’excède pas les mesures que le juge des référés, dont l’ordonnance est suffisamment motivée sur ce point, pouvait adopter sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative.
7. En deuxième lieu, ainsi qu’il a été dit, cette injonction ne peut être regardée comme faisant obstacle à l’exécution de la décision de récupération d’indu prise le 5 avril 2018 par la caisse d’allocations familiales de la Vienne. Et si, par une décision du 23 novembre 2018, le département et la caisse d’allocations familiales de la Vienne ont rejeté la demande formée par MmeB…, le 5 novembre 2018, pour obtenir la restitution des sommes irrégulièrement retenues, cette décision, postérieure à la saisine, le 22 novembre 2018, du juge des référés, ne pouvait faire obstacle à ce que celui-ci fasse usage des pouvoirs qu’il tenait de l’article L. 521-3 du code de justice administrative. Par suite, le juge des référés, qui a porté sur les pièces du dossier une appréciation exempte de dénaturation, n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que, sans qu’y fassent obstacle les décisions des 5 avril et 22 novembre 2018, il pouvait faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-3.
8. En dernier lieu, le juge des référés n’a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en évaluant à 692 euros le montant des retenues sur prestations effectuées par la caisse d’allocations familiales de la Vienne les 1er mai et 1er juin 2018, entre la formation de son recours administratif par MmeB…, reçu par la caisse le 25 avril 2018, et le rejet de celui-ci, s’agissant des prestations servies par la caisse pour le compte de l’Etat, le 18 juillet 2018.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la caisse d’allocations familiales de la Vienne et le département de la Vienne ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’ordonnance qu’ils attaquent.
10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de MmeB…, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante. Mme B…a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Delamarre, Jéhannin, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de la caisse d’allocations familiales de la Vienne et du département de la Vienne une somme de 1 000 euros chacun à verser à cette société.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la caisse d’allocations familiales de la Vienne et du département de la Vienne est rejeté.
Article 2 : La caisse d’allocations familiales de la Vienne et le département de la Vienne verseront à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de MmeB…, une somme de 1 000 euros chacun en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la caisse d’allocations familiales de la Vienne, au département de la Vienne et à Mme MathileB….
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.