Les décisions de la CAF ont souvent pour cause la période transitoire de divorce. C’est à dire la période dans laquelle les ex-époux sont en procédure, mais où aucun jugement définitif n’est intervenu pour le moment. Plus la procédure de divorce prend du temps, plus la CAF est sujette à considérer que les décisions transitoires sont définitives.
Le sort des remboursement de crédits avant le jugement de divorce
Le Conseil d’Etat dans une décision du 18 mars 2020 a clairement sonné le holà à cette pratique de la Caisse d’allocations familiales. Dans cette décision, la question portait sur le crédit en cours. L’époux non allocataire prenait en charge l’ensemble du crédit. La CAF a considéré à tort que la part du crédit qu’aurait dû payer l’allocataire est une ressource a prendre en compte dans le calcul du RSA.
Le Conseil d’Etat a censuré la décision de la CAF :
Si la mise à disposition gratuite du domicile conjugal, à titre de complément de pension alimentaire, revêtait le caractère d’un avantage en nature devant être évalué sur la base forfaitaire prévue par l’article R. 262-9 du code de l’action sociale et des familles, la mise à la charge de M. C… du règlement de l’ensemble des dettes communes avait été ordonnée à titre provisoire, dans l’attente de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux. Dans ces conditions, en regardant la somme de 464 euros par mois comme une ressource dont bénéficiait Mme A… à prendre en compte pour le calcul du montant du revenu de solidarité active, alors même qu’il ne disposait d’aucun élément relatif aux modalités de règlement du divorce qui aurait pu le conduire à considérer ces remboursements comme définitivement acquis au profit de la requérante, le tribunal administratif a commis une erreur.
Le Conseil d’Etat a annulé la décision du Département et de la Caisse d’allocations familiales sur le RSA en question. La décision de la CAF n’était pas motivée en l’espèce. La somme attribuée avant un jugement définitif n’a pas à être prise en compte pour le calcul du RSA.
Le sort des sommes attribuées par un jugement définitif de divorce
Cette décision concerne la période transitoire. Il en sera autrement en cas de divorce définitif. La CAF n’hésitera cependant pas à venir réclamer un trop perçu d’allocation. Ainsi au jour du jugement de divorce les montants pris en charge seront définitivement acquis par l’allocataire. Ce sera une ressource.
C’est un cas similaire à celui des successions. Une succession peut durer un temps plus ou moins long. Dans ce cadre, des héritiers peuvent être amenés à gérer des biens pour les autres, et alors engager des frais qui seront dus au moment de la signature chez le notaire.
En réalité, la prise en compte de l’ensemble des périodes transitoires est source de difficultés pour la CAF. Il n’est jamais inutile de contester une décision de la CAF, dans la mesure où l’on est de bonne foi. Je vous conseille vivement de déclarer toute ressource au titre de la DTR du trimestre où le divorce est définitif.
La décision du 18 mars 2020 :
Vu la procédure suivante :
Mme B… A… a demandé au tribunal administratif de Lyon :
- d’annuler la décision de la caisse d’allocations familiales du Rhône du 15 janvier 2016 de récupérer des indus de revenu de solidarité au titre des périodes de janvier 2012 à janvier 2014 et de juin à octobre 2015 ;
- d’annuler les deux titres exécutoires émis par le président de la métropole de Lyon le 10 mars 2016 aux fins de récupération d’indus de revenu de solidarité active d’un montant total de 9 784,75 euros sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 ;
- d’annuler la mise en demeure émise le 4 mai 2016 par la caisse d’allocations familiales du Rhône en vue de la récupération du solde d’un indu de revenu de solidarité active » activité » de 255,42 euros sur la période du 1er septembre au 31 octobre 2015 ;
- d’annuler la décision implicite par laquelle le président de la métropole de Lyon a rejeté sa demande de remise gracieuse du 28 janvier 2016 ;
- d’ordonner le remboursement des retenues déjà effectuées.
Par un jugement n° 1602613 du 21 novembre 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juillet et 27 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme A… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Piwnica, Molinié, son avocat, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ; Vu :
- le code de l’action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,
- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A… et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la métropole de Lyon ;
Considérant ce qui suit :
- Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par un courrier du 15 janvier 2016, la caisse d’allocations familiales du Rhône a notifié à Mme A… le détail des indus de revenu de solidarité active dont elle restait redevable, lesquels s’élevaient à 10 500,38 euros au titre d’indus constatés pour la période du 1er janvier 2012 au 31 janvier 2014, dont la récupération avait été décidée les 22 janvier et 22 février 2014, en raison du remboursement par son conjoint de l’intégralité du prêt immobilier contracté en commun, pour un autre, à 11,27 euros au titre d’un indu constaté pour le mois de décembre 2013, dont la récupération avait été décidée le 28 février 2014, en raison de la fin de la prise en compte de sa fille comme personne à charge, et, pour les derniers, à 292,44 euros au titre des indus constatés pour la période du 1er juin 2015 au 31 octobre 2015, dont la récupération avait été décidée le 13 janvier 2016, en raison de la prise en compte d’indemnités de maladie perçues par l’intéressée. Le 10 mars 2016, le président de la métropole de Lyon a émis deux titres exécutoires pour recouvrer celles des sommes versées par la caisse d’allocations familiales pour le compte du département du Rhône dont la récupération avait été décidée le 22 janvier 2014, l’un d’un montant de 2 784 euros pour la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2012, l’autre d’un montant de 7 000,75 euros pour la période du 1er juillet 2012 au 31 décembre Le président de la métropole de Lyon a, ensuite, implicitement rejeté le surplus du recours administratif préalable exercé par Mme A… le 28 janvier 2016 ainsi que sa demande de remise gracieuse. Enfin, le 4 mai 2016, la caisse d’allocations familiales du Rhône a mis l’intéressée en demeure de rembourser la somme de 255,42 euros, versée pour le compte de l’Etat au titre des mois de septembre et octobre 2015, dont la récupération avait été décidée le 13 janvier 2016. Par un jugement du 21 novembre 2017, contre lequel Mme A… se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Lyon rejeté sa contestation de ces décisions.
Sur le jugement attaqué, en tant qu’il statue sur les titres exécutoires émis le 10 mars 2016 et sur le bien-fondé des indus correspondants :
- En premier lieu, aux termes de l’article L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles, applicable au président de la métropole de Lyon en vertu des articles L. 3611-3 et L. 3641-2 du code général des collectivités territoriales : » Tout paiement indu de revenu de solidarité active est récupéré par l’organisme chargé du service de celui-ci ainsi que, dans les conditions définies au présent article, par les collectivités débitrices du revenu de solidarité active. / (…) / Sauf si le bénéficiaire opte pour le remboursement de l’indu en une seule fois, l’organisme mentionné au premier alinéa procède au recouvrement de tout paiement indu de revenu de solidarité active par retenues sur les montants à échoir. / A défaut, l’organisme mentionné au premier alinéa peut également, dans des conditions fixées par décret, procéder à la récupération de l’indu par retenues sur les échéances à venir dues au titre [d’autres] prestations (…). / (…) / Après la mise en oeuvre de la procédure de recouvrement sur prestations à échoir, l’organisme chargé du service du revenu de solidarité active transmet (…) les créances du département au président du conseil départemental. (…) Le président du conseil départemental constate la créance du département et transmet au payeur départemental le titre de recettes correspondant pour le recouvrement (…) « . Aux termes de l’article L. 262-47 du même code : » Toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l’objet, préalablement à l’exercice d’un recours contentieux, d’un recours administratif auprès du président du conseil départemental (…) « .
- Par ailleurs, aux termes de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : » (…) 1° En l’absence de contestation, le titre de recettes individuel ou collectif émis par la collectivité territoriale ou l’établissement public local permet l’exécution forcée d’office contre le débiteur. / (…) / 2°L’action dont dispose le débiteur d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d’un acte de / L’action dont dispose le débiteur de la créance visée à l’alinéa précédent pour contester directement devant le juge de l’exécution mentionné aux articles L. 213-5 et L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire la régularité formelle de l’acte de poursuite diligenté à son encontre se prescrit dans le délai de deux mois suivant la notification de l’acte contesté (…) « .
- Alors même que le tribunal relevait que la décision de récupération des allocations de revenu de solidarité active regardées comme indument versées pour le compte du département du Rhône au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 janvier 2014, prise le 22 janvier 2014 et confirmée sur recours gracieux, était devenue définitive, Mme A… restait recevable, dans le délai prévu par le 2° de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, à contester le bien-fondé de la créance de la métropole de Lyon à l’occasion de sa requête tendant à l’annulation des titres exécutoires émis pour son
- En second lieu, aux termes de l’article L. 262-3 du code de l’action sociale et des familles : » (…) L’ensemble des ressources du foyer, y compris celles qui sont mentionnées à l’article L. 132-1, est pris en compte pour le calcul du revenu de solidarité active, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d’Etat qui détermine notamment : / (…) / 2° Les modalités d’évaluation des ressources, y compris les avantages en nature. L’avantage en nature lié à la disposition d’un logement à titre gratuit est déterminé de manière forfaitaire (…) « . Le premier alinéa de l’article R. 262-6 du même code précise que : » Les ressources prises en compte pour la détermination du montant du revenu de solidarité active comprennent, sous les réserves et selon les modalités figurant au présent chapitre, l’ensemble des ressources, de quelque nature qu’elles soient, de toutes les personnes composant le foyer, et notamment les avantages en nature ainsi que les revenus procurés par des biens mobiliers et immobiliers et par des capitaux « . Enfin, l’article R. 262-9 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que : » Les avantages en nature procurés par un logement occupé soit par son propriétaire ne bénéficiant pas d’aide personnelle au logement, soit, à titre gratuit, par les membres du foyer, sont évalués mensuellement et de manière forfaitaire : / 1° A 12 % du montant forfaitaire mentionné au 2° de l’article 262-2
applicable à un foyer composé d’une seule personne ; 2° A 16 % du montant forfaitaire calculé pour deux personnes lorsque le foyer se compose de deux personnes (…) « .
- Par ailleurs, l’article 254 du code civil prévoit que, lors de l’audience de conciliation prévue à l’article 252 de ce code : » le juge prescrit, en considération des accords éventuels des époux, les mesures nécessaires pour assurer leur existence et celle des enfants jusqu’à la date à laquelle le jugement passe en force de chose jugée « . Aux termes de l’article 255 du même code : » Le juge peut notamment : (…) / 3° Statuer sur les modalités de la résidence séparée des époux ; / 4° Attribuer à l’un d’eux la jouissance du logement et du mobilier du ménage ou partager entre eux cette jouissance, en précisant son caractère gratuit ou non et, le cas échéant, en constatant l’accord des époux sur le montant d’une indemnité d’occupation ; (…) / 6° Fixer la pension alimentaire (…), désigner celui ou ceux des époux qui devront assurer le règlement provisoire de tout ou partie des dettes ; / 7° Accorder à l’un des époux des provisions à valoir sur ses droits dans la liquidation du régime matrimonial si la situation le rend nécessaire (…) « .
- Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une ordonnance sur tentative de conciliation du 8 mars 2012, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Lyon a attribué à Mme A… la jouissance du domicile conjugal » à titre gratuit, à titre de complément de pension alimentaire pour le conjoint » et a prévu que » l’ensemble des crédits communs seront réglés provisoirement par le mari « , M. C…. Pour calculer l’indu litigieux, la caisse d’allocations familiales a estimé que la moitié de l’échéance mensuelle du prêt immobilier contracté par le couple ainsi mise à la charge de M. C…, soit 464 euros par mois, constituait pour Mme A… un avantage en nature à prendre en compte dans le calcul de ses ressources.
- Si la mise à disposition gratuite du domicile conjugal, à titre de complément de pension alimentaire, revêtait le caractère d’un avantage en nature devant être évalué sur la base forfaitaire prévue par l’article R. 262-9 du code de l’action sociale et des familles, la mise à la charge de M. C… du règlement de l’ensemble des dettes communes avait été ordonnée à titre provisoire, dans l’attente de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux. Dans ces conditions, en regardant la somme de 464 euros par mois comme une ressource dont bénéficiait Mme A… à prendre en compte pour le calcul du montant du revenu de solidarité active, alors même qu’il ne disposait d’aucun élément relatif aux modalités de règlement du divorce qui aurait pu le conduire à considérer ces remboursements comme définitivement acquis au profit de la requérante, le tribunal administratif a commis une erreur de
Sur le jugement attaqué, en tant qu’il statue sur la demande de remise gracieuse :
- Aux termes du neuvième alinéa de l’article L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige : » La créance peut être remise ou réduite par le président du conseil départemental en cas de bonne foi ou de précarité de la situation du débiteur, sauf si cette créance résulte d’une manoeuvre frauduleuse ou d’une fausse déclaration « .
- Le jugement attaqué étant annulé en tant qu’il statue sur le bien-fondé de l’indu pour le recouvrement duquel ont été émis les titres exécutoires du 10 mars 2016, il y a lieu de l’annuler également en tant qu’il statue sur le rejet de la demande de remise gracieuse de cet indu. En revanche, Mme A…, qui se borne à critiquer un motif surabondant du jugement sur ce point, n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement en tant qu’il statue sur sa demande de remise gracieuse des autres indus qui lui ont été réclamés.
- Il résulte de tout ce qui précède que Mme A… est fondée à demander l’annulation du jugement qu’elle attaque en tant qu’il statue sur les titres exécutoires émis le 10 mars 2016 par le président de la métropole de Lyon et sur le bien-fondé des indus pour la récupération desquels ils ont été émis, ainsi que sur le refus de remise gracieuse de ces
Sur les conclusions relatives aux frais d’instance :
- Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de Mme A… qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. L’Etat n’étant pas une partie perdante, les conclusions dirigées à son encontre au même titre ne peuvent qu’être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 21 novembre 2017 est annulé en tant qu’il statue sur les titres exécutoires émis le 10 mars 2016 par le président de la métropole de Lyon et sur le bien-fondé des indus pour la récupération desquels ces titres ont été émis, ainsi que sur le refus de remise gracieuse de ces indus.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Lyon dans la mesure de la cassation prononcée. Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme A… est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la métropole de Lyon présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B… A… et à la métropole de Lyon.
Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé et à la caisse d’allocations familiales du Rhône.